La Cour des comptes de Madagascar, sollicitée pour la refondation nationale
Le 25 septembre dernier, sous l’impulsion du mouvement « Gen Z Madagascar », une vague de manifestations citoyennes sans précédent a provoqué la chute des dirigeants du pays, ouvrant la voie à un gouvernement de transition qui affiche sa volonté d’adhérer aux principes de bonne gouvernance, de contrôle et d’intégrité publique.
Dans ce contexte, la Cour des comptes de Madagascar s’est rapidement imposée comme l’un des outils de la refondation, basée sur la transparence et la redevabilité. Loin de menacer l’indépendance de l’institution supérieure de contrôle (ISC) ou de limiter ses pouvoirs, le nouveau régime lui a confié en effet l’importante responsabilité d’auditer l’ensemble des ministères du gouvernement.
L’objectif de cet audit est d’identifier les réformes systémiques nécessaires à une gestion saine et efficace des finances publiques. Il s’agit d’une mission très ambitieuse, car la Cour ne dispose que de 90 jours pour produire un diagnostic exhaustif.
Le Premier président de la Cour, Jean de Dieu Rakotondramihamina, est satisfait de la tournure des événements, heureux de la confiance manifestée à la Cour par la nouvelle administration : « Cette saisine doit être interprétée à la fois comme une revalorisation de la Cour, qui s’est souvent heurtée dans le passé à une forme d’indifférence, et comme une démonstration que la Cour est une institution crédible, reconnue à la fois par les partenaires internationaux et nationaux, et qu’elle vaut le coup d’être appuyée ».
Le Premier président perçoit l’actuel changement comme le fruit des travaux de renforcement de capacités de l’institution, depuis 2020, dans le cadre du projet TANTANA, mis en œuvre de 2020 à 2024 par l’Initiative de Développement de l’Intosai (IDI), avec le financement de USAID et le concours de la Cour des comptes de France, de celle du Royaume du Maroc, ainsi que du Bureau de l’Auditeur général de Norvège. Il demeure malgré tout lucide par rapport aux défis qui attendent les magistrats : « Nous devons adopter une approche agile et innovante pour réussir cet exercice. Mais c’est aussi une opportunité unique de démontrer que la Cour peut être un moteur de réforme, pas seulement un témoin des dérives », explique-t-il.
La refondation de l’État s’accompagne déjà d’un progrès pour l’autonomie de la Cour, puisqu’elle aura désormais un accès inédit aux systèmes d’information financiers de l’État — une demande de longue date et une première dans l’histoire institutionnelle du pays. La Cour des comptes entend d’ailleurs travailler sur les modalités de ces accès pour pouvoir les pérenniser.
Si l’institution supérieure de contrôle a pu répondre sans délai à la saisine officielle du nouveau gouvernement pour auditer l’ensemble des ministères, c’est grâce au travail de fond mené dans le cadre du projet TANTANA. Grâce également au soutien du secrétariat d’État à l’Économie (SECO) et de l’ambassade de Suisse à Madagascar, et plus récemment du Fonds canadien pour les initiatives locales (FCIL).
Ce partenariat stratégique a permis de renforcer les compétences techniques, d’améliorer la gouvernance interne et de positionner la Cour comme un acteur institutionnel clé. « Ce projet a instauré notre crédibilité et renforcé notre visibilité. Aujourd’hui, nous récoltons les fruits d’un long travail d’investissement et d’appui », confie le Premier président. La reconnaissance de l’ISC était d’ailleurs manifeste bien avant la crise politique, puisque certains partenaires techniques et financiers avaient saisi la Cour pour auditer des projets qu’ils financent pour le compte de l’État malgache.
L’une des illustrations les plus fortes de cette évolution est la publication des quatre rapports d’audit sur la gestion de la crise sanitaire de la Covid-19.
Finalisés en 2022, ces rapports ont enfin été publiés sur le site internet de la Cour des comptes, en même temps que d’autres rapports clés — un acte d’indépendance, porteur d’un message fort : la transparence au service de la redevabilité.
Ces publications visent à outiller les organes de lutte contre la corruption et à nourrir des enquêtes ouvertes sur les dérives constatées durant la pandémie. Pour la Cour, il s’agit non seulement d’un geste de responsabilité, mais aussi d’une preuve que l’institution assume pleinement son rôle de garant de la bonne utilisation des fonds publics.
Face à des défis budgétaires persistants et à la nécessité d’assurer son autonomie, la Cour des comptes entend une fois de plus « convaincre par son travail », malgré ses moyens limités. Les audits ministériels en cours serviront de levier pour consolider la confiance des pouvoirs publics et des partenaires techniques et financiers.
« Les partenaires peuvent constater le « value for money » de leurs investissements. Les efforts engagés depuis 2020 ne sont pas vains : ils produisent aujourd’hui un effet systémique sur la gouvernance du pays », souligne le premier président.
La Cour des comptes espère alors que la refondation ira dans le sens d’un renforcement de l’indépendance et de l’autonomie de la Cour des comptes, pour démontrer que l’État doit s’appuyer sur elle et lui donner les moyens d’assurer un contrôle efficace des finances publiques.
Le cas de Madagascar illustre comment un appui ciblé, cohérent et durable peut installer une ISC en acteur stratégique de l’état de droit.
En cette période de crise politique, la Cour des comptes a su démontrer son utilité et qu’une institution solide, soutenue dans le long terme, peut incarner la continuité de l’État, la responsabilité publique et l’espoir d’une gouvernance refondée.
